Hommage à Jean-Claude Abric


Hommage de Serge Moscovoci à Jean-Claude Abric.
Professeurs  et directeurs de mémoire que j’ai eu la chance d’avoir au cours de mes études de psychologie à Aix en Provence et à Paris X.


Message que Serge Moscovici a demandé à Thémis Apostolidis de transmettre suite au décès de Jean-Claude Abric (dcd dans la nuit du 12/13 septembre 2012).

« C’est un choc affectif profond que j’ai ressenti en apprenant la mort de Jean-Claude Abric. Notre rencontre remonte à plus d’un demi siècle et diverses images traversent mon souvenir de tout ce temps écoulé, images toujours marquées par les mêmes qualités de l’homme et du chercheur auquel j’ai toujours été attaché. Celle d’abord de l’assistant de recherche qui avait rejoint notre Laboratoire de psychologie sociale, créé rue de la Sorbonne, par Daniel Lagache, avant de m’aider à mettre sur pieds celui que j’ai fondé à la VIème Section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, devenue depuis l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il y resta en tant que Chef de Travaux jusqu’à son départ pour l’Université d’Aix-en-Provence.

Esprit curieux, inventif, ouvert, il s’est intéressé et a pris part à tout ce que nous entreprenions sur les représentations sociales : les recherches sur le corps mais surtout les premières recherches expérimentales concernant l’influence des représentations sur les comportements en situation de jeu qu’il a prolongées par ses propres travaux sur la coopération et la compétition. Ceux-ci furent à la base de sa thèse de Doctorat d’Etat, l’une des premières, sinon la première, de sa génération. Je me rappelle qu’il prenait un plaisir amusé à dire sa fierté d’être le premier Docteur d’Etat de sa région. Derrière son humour, pointaient son enracinement terrien et sa fidélité à ses origines. Deux qualités qui vont se retrouver dans toute son activité et toute son œuvre comme dans ses relations amicales et professionnelles.

L’enracinement dans la réalité fait la force de sa contribution à l’étude des représentations sociales, la fidélité n’a jamais cessé de s’affirmer, faisant de lui une personne inspirant au premier chef la confiance, qualité rare. Jean-Claude est quelqu’un en qui j’ai toujours eu confiance et il ne m’a jamais démenti. Nombreuses ont été les occasions où il l’a justifiée et les coopérations scientifiques qu’il a établies avec d’autres la confirment. Mais quand je pense à lui, l’image qui domine est celle de l’homme de foi, de passion. Il a su suivre avec rigueur et ténacité une voie, raison pour laquelle il a joué un rôle important dans la psychologie sociale française.

Abric a su élargir le champ des représentations sociales et restituer à notre discipline une pertinence sociale. A la différence de Durkheim qui a développé sa théorie des représentations à propos de phénomènes sociaux comme la religion qui sont de nature subtile, spirituelle ou idéelle, Abric a porté son attention sur le champ des pratiques sociales concrètes. Unissant le souci théorique et l’envie d’intervenir dans les affaires humaines, il voyait dans la psychologie sociale une pratique sociale qu’il a réalisée avec talent dans ses applications à divers domaines d’activité. Et quand il s’occupait de cognition, ce n’était pas d’un point de vue logique mais en tant qu’elle a un répondant dans l’action. De ce fait, il a donné à la psychologie sociale la capacité de résoudre des problèmes courants et sa véritable portée sociale.

Jean Claude Abric ne s’est pas contenté d’être un authentique psychologue social, il fut aussi un véritable pédagogue dont témoignent le rayonnement de son œuvre et l’impact qu’il a eu dans divers pays. Il a rendu le concept de représentation sociale accessible et par là a contribué à sa diffusion. Ses qualités de synthèse des concepts et des modèles proposés pour l’étude des représentations sociales, l’intégration harmonieuse qu’il réalisait entre les structures abstraites et les données de l’expérience concrète ont ouvert l’accès de notre champ à de nombreux chercheurs qui ont pu reproduire les approches qu’il diffusait et produire des résultats éclairants sur leur propre réalité. La clarté et la rectitude de son style ont été pour beaucoup dans l’applicabilité de ses propositions et dans sa force de transmission.

Parler de force est sans doute la manière la plus juste de parler de Jean-Claude. Il avait une force de vie dont il a fait montre non seulement dans les différentes facettes de son existence, mais aussi de manière exemplaire dans la maladie. Une force de vie qui a animé toute sa créativité. Nous lui en seront pour toujours reconnaissants.

J’adresse mes plus sincères condoléances à sa famille et à tous nos amis dont je partage l’affliction.



Serge Moscovici
Paris, le 14 septembre 2012

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