Hommage à Jean-Claude Abric
Hommage de Serge Moscovoci à Jean-Claude Abric.
Professeurs et directeurs de mémoire que j’ai eu la chance d’avoir au cours de mes études de psychologie à Aix en Provence et à Paris X.
« C’est un choc affectif profond que j’ai ressenti en
apprenant la mort de Jean-Claude Abric. Notre rencontre remonte à plus d’un
demi siècle et diverses images traversent mon souvenir de tout ce temps écoulé,
images toujours marquées par les mêmes qualités de l’homme et du chercheur
auquel j’ai toujours été attaché. Celle d’abord de l’assistant de recherche qui
avait rejoint notre Laboratoire de psychologie sociale, créé rue de la
Sorbonne, par Daniel Lagache, avant de m’aider à mettre sur pieds celui que
j’ai fondé à la VIème Section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, devenue
depuis l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il y resta en tant que
Chef de Travaux jusqu’à son départ pour l’Université d’Aix-en-Provence.
Esprit curieux, inventif, ouvert, il s’est intéressé et a
pris part à tout ce que nous entreprenions sur les représentations sociales :
les recherches sur le corps mais surtout les premières recherches
expérimentales concernant l’influence des représentations sur les comportements
en situation de jeu qu’il a prolongées par ses propres travaux sur la
coopération et la compétition. Ceux-ci furent à la base de sa thèse de Doctorat
d’Etat, l’une des premières, sinon la première, de sa génération. Je me
rappelle qu’il prenait un plaisir amusé à dire sa fierté d’être le premier
Docteur d’Etat de sa région. Derrière son humour, pointaient son enracinement
terrien et sa fidélité à ses origines. Deux qualités qui vont se retrouver dans
toute son activité et toute son œuvre comme dans ses relations amicales et
professionnelles.
L’enracinement dans la réalité fait la force de sa
contribution à l’étude des représentations sociales, la fidélité n’a jamais
cessé de s’affirmer, faisant de lui une personne inspirant au premier chef la
confiance, qualité rare. Jean-Claude est quelqu’un en qui j’ai toujours eu
confiance et il ne m’a jamais démenti. Nombreuses ont été les occasions où il
l’a justifiée et les coopérations scientifiques qu’il a établies avec d’autres
la confirment. Mais quand je pense à lui, l’image qui domine est celle de
l’homme de foi, de passion. Il a su suivre avec rigueur et ténacité une voie, raison
pour laquelle il a joué un rôle important dans la psychologie sociale
française.
Abric a su élargir le champ des représentations sociales et
restituer à notre discipline une pertinence sociale. A la différence de
Durkheim qui a développé sa théorie des représentations à propos de phénomènes
sociaux comme la religion qui sont de nature subtile, spirituelle ou idéelle,
Abric a porté son attention sur le champ des pratiques sociales concrètes.
Unissant le souci théorique et l’envie d’intervenir dans les affaires humaines,
il voyait dans la psychologie sociale une pratique sociale qu’il a réalisée
avec talent dans ses applications à divers domaines d’activité. Et quand il
s’occupait de cognition, ce n’était pas d’un point de vue logique mais en tant
qu’elle a un répondant dans l’action. De ce fait, il a donné à la psychologie
sociale la capacité de résoudre des problèmes courants et sa véritable portée
sociale.
Jean Claude Abric ne s’est pas contenté d’être un
authentique psychologue social, il fut aussi un véritable pédagogue dont
témoignent le rayonnement de son œuvre et l’impact qu’il a eu dans divers pays.
Il a rendu le concept de représentation sociale accessible et par là a
contribué à sa diffusion. Ses qualités de synthèse des concepts et des modèles
proposés pour l’étude des représentations sociales, l’intégration harmonieuse
qu’il réalisait entre les structures abstraites et les données de l’expérience
concrète ont ouvert l’accès de notre champ à de nombreux chercheurs qui ont pu
reproduire les approches qu’il diffusait et produire des résultats éclairants
sur leur propre réalité. La clarté et la rectitude de son style ont été pour
beaucoup dans l’applicabilité de ses propositions et dans sa force de
transmission.
Parler de force est sans doute la manière la plus juste de
parler de Jean-Claude. Il avait une force de vie dont il a fait montre non
seulement dans les différentes facettes de son existence, mais aussi de manière
exemplaire dans la maladie. Une force de vie qui a animé toute sa créativité.
Nous lui en seront pour toujours reconnaissants.
J’adresse mes plus sincères condoléances à sa famille et à
tous nos amis dont je partage l’affliction.
Serge Moscovici
Paris, le 14 septembre 2012
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