Concepts clés: manipulation, obéissance, conformisme ...

Interview de Jean-Léon Beauvois sur la manipulation




Etude sur l’obéissance à l’autorité
L’expérimentation de psychologie sociale la plus connue du grand public, pour avoir été mise en scène par le cinéma et récemment par la télévision, est celle de Stanley Milgram, psychologue américain, sur l’obéissance à l’autorité. L’expérience est la suivante : une personne reçoit l’ordre par un scientifique d’envoyer des décharges électriques à chaque mauvaise réponse donnée par un élève (adulte), sous justification d’une étude sur l’apprentissage.
Précisons que l’expérience se passe dans les locaux de la célèbre université de Yale et fait l’objet d’une rémunération. En réalité l’élève et le scientifique sont des comédiens. L’élève bien sûr ne reçoit pas de chocs électriques, il simule la douleur.
Le résultat de ces expériences montrent que plus de 62,5 % des personnes obéissent à l’autorité, même quand celle-ci pose un problème de conscience, et envoient les décharges maximales de 405 Volts.
Milgram en conclut que "des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent, en s'acquittant de leur tâche, devenir des agents d'un atroce processus de destruction".


Christophe Dejours, psychiatre spécialiste notamment de la souffrance au travail,en arrive au même constat lorsqu'il parle de "banalisation sociale du mal". Marie-France Hirigoyen, psychiatre, poursuit cette réflexion
appliquée au monde du travail: " Il est en effet des individus qui ont besoin d'une autorité supérieure pour parvenir à un certain équilibre. Les pervers récupèrent à leur profit cette docilité et l'utilisent pour infliger la souffrance aux autres".(M-F Hirigoyen,le harcèlement moral, Pocket-Syros)

Etude sur le conformisme
Un autre moteur de l’obéissance est le conformisme, étudié par un autre grand psychologue social, américain Salomon Asch. Dans le cas de l’obéissance à une autorité, le sujet est conscient de réaliser les désirs de l'autorité. Avec le conformisme, l'individu est persuadé que ses motivations lui sont propres et qu'il n'imite pas le comportement du groupe.
Description de l’expérience :
Des groupes d’environ 10 personnes sont conviés pour une prétendue expérience sur l’acuité visuelle. Chaque personne doit repérer sur une série de cartes comportant 3 lignes verticales, celle qui est égale à la ligne présentée sur une autre série de cartes.
Sur les 10 personnes, 9 sont des compères de S. Asch et donnent volontairement des réponses absurdes. Il s’agit, en fait, d’étudier uniquement la capacité d’une personne à résister ou non à la pression d’un groupe dont l’opinion est pourtant manifestement fausse : le groupe, par exemple, prétend que des segments de 3, 4 ou 5 cm sont égaux à d’autres de 10, 12 ou 15 cm.
Résultat :
- 36,8% des sujets renoncent totalement à sa propre opinion pour se conformer à celle du groupe.
Quand le sujet maintient sa propre opinion, c’est au prix d’un  conflit psychologique qu’il tente d’atténuer par un essai d’explication rationnelle incriminant un problème d’acuité visuelle personnel ou même une illusion d’optique. Il reporte donc la responsabilité sur un fait ou événement extérieur à lui-même.

Etude sur l’engagement. 
(Référence théorique intéressante dans le cas d'intervention sur des comportements à risque)
Kurt Lewin, dans les années 1945, avait déjà remarqué, au cours d’une intervention commandée par le gouvernement américain pour faire évoluer le comportement alimentaire des ménagères américaines en période d’économie de guerre, qu' une information argumentée - dite "tactique de l'avocat" - n’était pas suffisante.
Par contre, il avait découvert que le simple fait de demander aux ménagères de s’engager publiquement en levant la main, à la fin de la réunion d'information, pour signifier leur intention de cuisiner autrement (cuisiner des abats) avait un effet positif sur le changement de comportement alimentaire.
Cette expérience a été reprise plus tard dans les années 1970 par un autre psychologue social, Kiesler, qui mit en évidence cette nécessité d’engagement pour obtenir un changement de comportement. L’expérience de Kiesler se passe dans un restaurant, une personne est à table en train de déjeuner, une autre personne arrive dans le restaurant, elle porte un magnifique cartable qu’elle pose à côté de la table de la personne qui déjeune avant de se rendre aux toilettes. Pendant ce temps une troisième arrive dans le restaurant et saisit le cartable et sort du restaurant.
Kiesler fait le constat que dans cette situation, la personne qui déjeune n’intervient jamais ou que très rarement. Par contre, si la personne au cartable demande du feu à la personne qui déjeune avant de déposer son cartable, celle-ci intervient dans 10% des cas pour s’opposer au vol. Et enfin dans le cas où la personne au cartable, demande si la personne qui déjeune peut surveiller son sac pendant son absence, alors celle-ci intervient dans 100% des cas.
Ce ne sont pas les convictions de la personne qui interviennent dans le comportement mais la situation qui crée le changement de comportement.

Exemples d’actes préparatoires d'engagement
«  demander du feu, ou surveiller le cartable »   sont définis par Robert-Vincent Joule, psychologue sociale à l'université de Provence, comme des actes préparatoires (au changement de comportement)

En 1966, 2 psychologues sociaux, Freedman et Fraser, introduisirent la technique du pied-dans-la-porte dans la littérature scientifique. Ils ont mené une expérience dans laquelle ils demandent à des propriétaires de poser dans leur jardin un gros panneau incitant les automobilistes à la prudence. Moins de 20% des sujets acceptèrent alors. Dans un deuxième temps, ils demandent à d'autres propriétaires de poser une simple affichette à leur fenêtre. Puis ils leurs demandent d'afficher le même gros panneau. Cette fois, environ 70% acceptèrent. 
L'acte préparatoire, ici la pose d'une petite affichette, acte peu coûteux, permit de faire accepter ensuite avec beaucoup plus de facilité un acte plus coûteux, soit la pose d'un gros panneau.


Une autre expérimentation de Robert-Vincent Joule a démontré que plus l'acte d'engagement était coûteux, plus l'effet sur le comportement était important. Attention cependant à bien élaborer le bon acte préparatoire. Dans l' expérimentation de  R-V Joule, la personne qui demande un renseignement est un touriste étranger. Quand celui-ci fait répéter deux fois le renseignement par le sujet, la probabilité pour que celui redonne le billet tombé est plus forte, et encore plus forte (100%) quand le touriste demande d'être accompagné jusqu'à la bonne direction. Donc plus l'engagement dans l'acte préparatoire est fort, plus l'impact sur le comportement attendu est important.
Pour être efficace en terme de changement de comportement, l'acte d'engagement doit être, selon R-V Joule et Kiesler : libre, en public, explicite, irréversible, répété, lourd de conséquence, couteux en temps, en argent et imputé à des raisons internes (à la personne) et non externes (du type "tactique de la punition" ou récompense parce que le sujet pourrait expliquer son engagement par un choix extérieur à lui).


Théorie de l'engagement et théorie de l'identification de l'action
R-V Joule, au cours d'une action qu'il menait dans le cadre d'une campagne de lutte contre le sida, avait été déçu du résultat d'un acte préparatoire qui comportait pourtant toute les caractéristiques évoquées ci-dessus. Cet acte était la réalisation d'un film sur le port du préservatif, réalisé, joué par les lycéens eux-mêmes. Certes au niveau cognitif ils avaient parfaitement intégré l'intérêt de mettre un préservatif, mais les comportements ne suivaient pas forcément. Par contre on assista à un regain de motivation et d'attente pour l'activité cinéma au lycée. 
L'acte n'était pas suffisamment identifié, comme un acte à valeur forte contre le sida
d'ou la nécessité de se reporter à une autre théorie développée par 2 américains (Wegner et Vallader, 1986) sur l'identification de l'action.
R-V Joule donne l'exemple de quelqu'un qui est train de casser un oeuf. Si on lui demande "qu'est-ce que tu fais", il y a peu de chance qu'il réponde "je casse un oeuf", il dira peut-être "je fais une omelette" ou plus certainement "je prépare le repas". Dans ces 3 niveaux de réponses (oeuf-omelette-repas), nous avons trois périmètres d'identification de l'action. Plus le périmètre est large, plus il est porteur de valeurs sociales élevées, et plus l'effet sur le comportement attendu sera important.




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